Aligner attention et intention

Posted by on janvier 11, 2021 in Blog | 0 comments

Aligner attention et intention

« Fillette respirant des tournesols », alyssasieb, banque d’images Nappy

Où va votre attention ?

Il y a quelque temps j’ai regardé un documentaire sur ce que faisaient les réseaux sociaux et autres (Facebook, Instagram, Twitter, Pinterest, Google…) avec nos données (The Social Dilemma). Et j’ai mesuré qu’ils influençaient notre attention d’une manière dont je n’avais jamais eu conscience. Il ne s’agit pas juste de la volonté de nous faire tourner le regard vers une publicité (et de l’effort inefficace que ça demande à notre cerveau de l’ignorer), il s’agit des conséquences dramatiques des outils mis en place pour le faire.

Le fait d’avoir ajouté des possibilités, au départ pensées comme positives, de manifester notre approbation (le fameux « j’aime » de Facebook), a créé une addiction à la validation par les autres. Elle fait des ravages en termes d’estime de soi, de confiance chez celleux qui ont toujours connu Internet, et en conséquences en termes d’automutilations, de dépressions et de suicides, chez les adolescent·es et en particulier chez les filles, y compris très jeunes, particulièrement soumises aux injonctions à correspondre à certaines normes de beauté. Ce que les autres pensent ou pourraient penser de nous prend une place démesurée.

Les algorithmes de ce réseau social nous servent par ailleurs des informations qui retiennent notre attention, y compris quand elles nous sont dommageables, pour la vendre aux publicitaires. C’est particulièrement visible dans Facebook, susceptible de mettre en avant tant les actualités d’un·e ex qu’une vidéo conspirationniste générant beaucoup de vues. Ce modèle nous rend très manipulables. On peut chercher notre attention pour nous soumettre des vidéos mensongères, influencer une élection. Ce n’est pas même pas du piratage, c’est le fonctionnement de la plateforme. On nous sert et nous ressert les publications qui retiennent notre attention, et qui se confirment les unes les autres. Notre fil d’actualité nous fait vivre dans une bulle. Qu’on ne maîtrise pas.

Ce procédé nourrit la polarisation. Chacun·e pense relever d’un camp et se voit confirmé·e dans son évidence que son camp est évidemment le bon, que l’autre est évidemment totalement à côté de la plaque, avec tous les échanges d’une courtoisie, d’une ouverture et d’une générosité inégalées que ça peut entraîner et qu’on connaît bien.

Quel est le problème avec la polarisation ? Eh bien que la vie est bien plus complexe que la réduction d’une problématique en deux points de vue qui s’opposeraient, et que dans l’opposition on peut perdre de vue notre commune humanité et la possibilité d’un avenir commun. L’une des personnes interviewées dans le documentaire, Tristan Harris, ancien « éthicien du design » chez Google et fondateur du Center for Human Technology, s’est rendu compte comme beaucoup d’autres de l’impact dramatique des algorithmes créés les entreprises de la Silicon Valley. Sur la question de la polarisation, il explique que plus on se sent loin des autres, et moins on éprouve le besoin de discuter avec, plus on s’éloigne d’une réalité partagée. Plus on s’éloigne, ajouterai-je, de l’espoir de faire l’expérience d’un processus de vie en société qui prendrait tout le monde en compte, s’il nous semble plus pertinent et efficace d’exclure les personnes de l’autre bord.

Quand on pense aux dizaines de milliers d’heures passées sur les écrans, sur les réseaux sociaux – notamment parce que leurs stratégies ou les effets de leurs méthodes sont particulièrement efficaces en termes d’attraction de l’attention – et leurs effets sur notre représentation du monde, on peut vouloir reprendre la main sur notre attention (et notre temps !).

 

Clarifier votre intention

Le formateur de CNV Oren Jay Sofer parle de l’acte « radical » que constitue le fait de récupérer notre attention. Ce sur quoi l’on pose notre attention modifie considérablement notre expérience de vie. En termes de communication non violente, on choisit de se concentrer sur les émotions et les besoins (sur ce qui nous anime, ce à quoi on aspire. C’est ce qu’on choisit de regarder en soi et chez les autres, et ça a tendance à générer de la connexion, de la compréhension, de l’espoir, de la détente). Habituellement, de par notre biologie (avec des réflexes de survie très puissants) et notre culture, nos sociétés étant organisées de manière hiérarchique (celleux qui ont le pouvoir savent mieux et édictent la norme), nous sommes davantage enclin·es à porter notre attention sur des jugements (la polarisation), les pensées qui nous coupent de nous-mêmes, des autres, du mouvement de la vie, et peuvent générer de la tension, de la colère, de la souffrance quand on en tire des conclusions définitives sur nous ou les autres.

Aujourd’hui je vous propose de vous poser ces questions en préalable avec Isâ Padovani, formateur de CNV français (pour celleux qui connaissent son nom, il a récemment fait son coming out trans – pour coller une étiquette à son parcours – voir Se faire le cadeau d’être soi) : quelle est mon intention ? Qu’est-ce que j’ai envie de vivre ? Pourquoi c’est important pour moi ? « Est-ce que j’ai mieux à faire ? » (J’adore cette dernière question.)

Être au clair, ou du moins conduire votre attention à se porter sur cet espace, vous donnera de l’énergie et de la clarté.

Et ensuite, qu’est-ce que je peux faire de parfaitement accessible, que je suis sûr·e d’arriver à faire, qui me permet de vivre cette intention ?

Toutes ces questions sont autant de moyens de focaliser votre attention sur ce qui est essentiel pour vous, et de la garder à cet endroit. C’est une question qu’on peut se poser également avant de poser une action. Est-ce que ce que je m’apprête à faire va augmenter ou diminuer mes chances de vivre ce que je veux vivre ? Ou après une action, une parole : est-ce que cette action a contribué à me faire vivre mon intention ?

Dans la mesure où j’ai un fonctionnement très attaché au mental, je vous transmets si c’est aussi votre cas ce conseil qui m’est très utile : écouter son corps – qui est parfaitement au clair, même si notre conscience ne l’est pas, faute de nous être habitué·es à l’écouter –, plus que sa tête, qui veut tout et se déconnecte du ressenti, quitte à augmenter par ses choix la tension et le mal-être. Votre tête est influencée par vos croyances, les normes sociales… La réponse du corps est alignée avec vos aspirations profondes et votre ressenti (ce qui ne veut pas dire que les normes et les croyances n’aient aucune influence dessus). Reste dans certains cas à réapprendre à s’y relier.

 

Trois pratiques pour récupérer votre attention

Oren Jay Sofer propose trois pratiques pour renforcer sa capacité à poser son attention :

– garder son attention sur un objet (l’important n’étant pas l’objet en soi mais le processus) : la respiration (un classique de la méditation), une image, un mantra, une émotion comme la gratitude ou l’amour. Quand vous vous rendez compte que votre attention s’égare, vous la ramenez aimablement vers cet objet en appréciant le fait de vous en être rendu compte. Sans tension, ni exigence. Plutôt avec légèreté et bienveillance. C’est une micro-pratique que vous pouvez suivre quelques minutes plusieurs fois par jour… ou quand vous vous en souvenez.

– mettre votre attention sur… là où va votre attention ! Vers où dévient vos pensées dans une journée quand rien n’attire ou ne réclame notre attention ? À quoi ressemblent les moments entre deux activités ? Est-ce que vous consultez frénétiquement votre fil d’actualités ? Vous ruminez ? Vos pensées vagabondent ? Occupez sciemment ces moments à une activité qui vous nourrit. Le plus difficile reste de prendre conscience de ce qui se passe et de choisir de faire autrement : regarder le ciel, poser votre attention sur ce pour quoi – y compris des choses qui vous paraissent évidentes et infimes –, vous éprouvez de la gratitude, arroser une plante, avoir un échange agréable avec quelqu’un, réparer quelque chose…

– vous arrêter plusieurs fois dans une journée et vous demander quel besoin vous êtes en train d’essayer de nourrir en faisant ce que vous faites. Vous aurez peut-être envie de vous y prendre autrement. Ou pas. Isâ Padovani propose ces trois petites phrases qui me changent la vie (quand je mets mon attention dessus…) : Qu’est-ce qui est ? Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce que je fais ?

Le fait de savoir pourquoi on fait ce qu’on fait, et de ressentir dans son corps qu’on est dans un endroit qui contribue pour nous, nous donne de la clarté et de l’énergie, nous fait nous sentir vivant·es. Et en accord avec nous-mêmes.

 

Je vous souhaite de mettre votre attention… sur votre intention ! En acceptant avec empathie et bienveillance qu’elle se promène, voire qu’elle erre à certains moments, ce qu’elle ne manquera pas de faire. L’important n’est pas de faire les choses parfaitement – cette exigence est le meilleur moyen d’abandonner notre intention – mais bien de persister dans notre soutien et notre engagement envers notre intention. Bonne route !