Mon privilège, ton oppression. Et si prendre ma responsabilité pouvait changer le monde ?

Posted by on juin 21, 2021 in Essai, Thèque | 0 comments

Mon privilège, ton oppressions. Et si prendre ma responsabilité pouvait changer le monde ?

Essai écrit par Nathalie Achard
Hachette (Marabout), coll. Époque épique, 2021 (262 pages)
Présentation par la maison d’édition

Si vous commencez à voir (ou qu’il est très clair pour vous) que les racisme, hétérosexisme, validisme, classisme, sexisme, etc. ne sont pas (que) des avis, des émotions, l’expression d’une forme de haine ou d’intolérance, mais des rapports de pouvoir historiquement construits, aux dépens des un·es et au profit des autres (c’est la base, la première partie et la plus courte du livre), et que vous souhaitez y voir plus clair sur les options à votre portée pour en sortir, en voilà une, que Nathalie Achard traite dans ce livre : la dimension personnelle, élément indispensable allant de pair (de trio) avec la dimension interpersonnelle et systémique.

Ces rapports de pouvoir, nous les avons intériorisés. Ils infiltrent notre représentation de nous-même, notre représentation des autres, notre représentation du monde, nos relations.

En quoi la communication nonviolente peut nous aider à suivre ce chemin ? D’abord précisions que la CNV (dont le formalisateur lui-même n’était pas satisfait du nom) n’est pas qu’un parler consensuel, qu’elle n’est pas qu’indolore, et que celle dont il est question ici a pour objet de soutenir notre libération commune (c’est son intention première, mais faute d’outils prenant concrètement en compte les oppressions systémiques, elle s’est en partie perdue dans beaucoup de cas). Ce n’est pas un outil tourné uniquement vers mon mieux-être. La CNV est une posture (qui consiste notamment à voir l’humanité en chacun·e derrière tout acte), une conscience, une prise de responsabilité dans un monde où l’on se perçoit comme en relation et donc en interdépendance.

Qu’on le veuille ou non, on est tou·tes partie prenante de ce système oppressif, raciste, classiste, validiste, adultiste, hétérosexiste, transphobe, où les normes de l’apparence sont ultra rigides et mortifères, etc. On en est tou·tes partie prenante, de quelque côté qu’on soit de chacune de ces oppressions.

 

La seconde partie du livre, la plus développée, traite des manifestations et de l’intériorisation de six d’entre elles : le classisme, l’hétérosexisme, le « lookisme », le racisme, le sexisme et le validisme, avec exemples quotidiens et proposition de pratiques.

Nathalie Achard nous invite à identifier ces oppressions et à regarder en face la manière dont nous les avons intériorisées (ce qui n’est justement pas une évidence : nos angles morts sont ce qui maintient notre idéal de nous et de ce monde). À accueillir avec bienveillance toutes les pensées et les émotions qui nous traversent, c’est-à-dire sans jugement, en se reliant aux besoins qui sont les nôtres (la sécurité, la tranquillité, l’appartenance…). Ce travail ne nécessite aucune connaissance préalable de la CNV.

Comment je réagis à certaines situations ? Qu’est-ce que ces réactions disent de mon intériorisation des oppressions ? Comment je réagis à mes propres réactions : quand je suis sous le choc, ou que je me vois dans le déni, dans la honte, dans la colère, dans le désespoir, dans la confusion ?

 

Prendre conscience de la réalité des oppressions, de la manière dont nous les avons intériorisées, de nos réactions, est douloureux.

Ça fait peur, de vivre dans un monde pareil. Une violence pareille. À l’extérieur de moi et en moi aussi, envers les autres et envers moi-même. Tout ce que je me dis sur moi.

Ça fait peur, l’idée de perdre mon confort, ma sécurité, ma légitimité, ma crédibilité, si les oppressions qui sont à mon service disparaissaient.
Ça fait peur, l’inconnu : à quoi ça ressemblerait, un monde sans domination ? On l’a tellement intériorisée qu’on ne peut l’imaginer.

Ces oppressions et ces peurs nous coupent de l’humanité des autres, et de la nôtre. Nous poussent à ne pas regarder en face leur fonctionnement et notre responsabilité.

Et quand bien même on a fait une partie de ce chemin, on se sent immensément impuissant·e face à ces réalités.

En quoi la communication nonviolente peut nous aider à suivre ce chemin ? En accompagnant les êtres sensibles et émotifs que nous sommes face aux prises de conscience choquantes et déprimantes. Devant la ronde de la colère, de l’indignation, du désespoir et de la honte. Dans l’impuissance. Elle peut nous accompagner dans le deuil de l’image qu’on pouvait avoir de notre monde, de l’idéal qu’on avait de nous ou d’autres personnes. Non pas pour dépérir et se résigner, mais pour agir avec davantage de conscience et davantage au service du monde dans lequel on aimerait vivre : où tout le monde serait pris en compte. Et c’est souvent là que le bât blesse.

C’est l’objet de la troisième partie, « Et maintenant, j’assume et j’agis », qui parlera sans doute beaucoup aux personnes engagées, d’une manière ou d’une autre, dans le changement social (avoir des conversations sur le sujet en est une).

Nathalie Achard y propose en particulier des pratiques pour agir dans mon plein pouvoir (en redonnant sa puissance à la « vulnérabilité »), accueillir mon désespoir, intégrer le deuil et la célébration dans mon quotidien, pour me permettre d’aller de l’avant, œuvrer à une culture de consentement réel en prenant en compte ma position de pouvoir, cultiver la conscience et la responsabilité qui font de moi un·e meilleur·e allié·e, dans l’accueil et le respect de mes limites.

Ce travail de fond va aux racines de la violence. Et alors même que c’est l’intention première de la CNV, alors même que des formatrices de CNV comme Roxy Manning ou Miki Kashtan œuvrent pour le soutenir depuis des années, il génère de de fortes résistances, y compris dans le monde de la CNV.

Ce livre est l’une des rares ressources francophones sur le sujet (Nathalie Achard a également écrit La CNV à l’usage de ceux qui veulent changer le monde) et on espère que de nombreuses autres suivront. Parce que ce travail individuel d’introspection et de transformation, au service de la responsabilité, paraît indispensable (avec la transformation interpersonnelle et systémique) pour ne pas reproduire indéfiniment le passé.